Liminaire. L’1Dex Mag, numéro 1, du 1er décembre 2016, a été parmi les premiers médias à lancer Séverine Favre. En 2017, cette artiste plasticienne, originaire d’Isérables, a exposé Hong-Kong et à Lausanne. Elle sera bientôt à Genève et, probablement, à Londres. Dans L’1Dex Mag numéro 2, qui paraîtra le 1er décembre 2017, une autre artiste valaisanne sera mise en valeur. Pour commander L’1Dex Mag 2, cliquez ici.
Pour le numéro 1, et le chapitre « L’Oeil », incluant la mise en page complète de « L’art mis en boïte », cliquez ici.
La couverture de L’1Dex Mag, numéro 2, du 1er décembre 2017, a été réalisée par … Sèvre Favre. Vous la découvrirez tout prochainement.
Des mains, demain…
Elle a étudié l’histoire de l’art, elle connaît tout des œuvres, des musées qui les exposent… elle peut vous présenter l’Ermitage, vous guider au Louvre, vous perdre aux Offices. Elle vous parlera du principe de la devotio moderna chez les primitifs flamands, se lancera dans un exposé passionné sur la pureté des lignes chez Pierro della Francesca ou sur le traitement de la lumière chez Georges de La Tour.
Elle aime Géricault, Manet, Cézanne, Matisse, mais encore Pollock, Sam Francis, José Parla, JR et Seugnmo Park. Et elle en oublie.
Elle sait voir, elle peut analyser ou comparer.
Elle a enseigné.
Ne lui manquait que trouver sa propre voie.
Ne lui manquait que se lancer.
Utiliser ses mains.
Enfin.
Ses mains, vos mains… maintes possibilités
Sève Favre a deux enfants… qu’elle a emmenés très jeunes dans les musées.
Mais impossible pour eux de toucher les visages qui les interpellent, impossible pour elle de sentir la texture de ces toiles qu’elle admire.
De cette frustration naît la nécessité de créer une œuvre interactive… une œuvre à taille humaine, par opposition au gigantisme qui caractérise beaucoup de projets contemporains.
Une œuvre qui abolisse la frontière classique entre l’œuvre et le spectateur, à savoir une œuvre que ce dernier puisse appréhender physiquement, tactilement.
Une œuvre que l’acheteur puisse moduler à sa guise… raison pour laquelle elle aspire à rencontrer un galeriste téméraire, qui accepterait d’exposer des tableaux que les visiteurs pourraient librement manipuler!
Et le papier papillonne…
Il se plie et se déplie… comme un tableau qui se déplie et qu’on déplace.
D’abord, elle le peint… à l’aquarelle parfois, ou à l’acrylique, souvent avec du pastel sec, qu’elle termine toujours par travailler avec les doigts. Mais elle utilise aussi les crayons de couleur, ou se lance encore dans des collages.
Puis elle lui donne la forme d’une petite boîte.
Et recommence.
Encore et encore… parce qu’il n’y a pas véritablement qu’un tableau fixe, seulement une image fugitive, fragmentée… car constituée d’une multitude de petites boîtes, toutes différentes.
Si vous achetez l’une de ses œuvres, vous ne serez pas en possession d’un seul et unique tableau… mais aussi d’une quantité de petits tableaux qui, tous, existent individuellement… mais ensemble, parlent encore différemment.
Une œuvre polymorphe
- Concrètement, que proposez-vous à celui ou à celle qui est confronté à l’une de vos œuvres?
Une participation à l’œuvre, active et constante… la possibilité d’apporter en tout temps une vision personnelle à un travail artistique: c’est ce concept que j’ai appelé intervariactivité. Cette contribution du spectateur-acteur est possible aussi bien concrètement que virtuellement, puisque sur mon site internet certaines œuvres ont leur double virtuel, avec lequel il est aussi possible d’interagir.
- Le spectateur classique devient donc acteur, traverse une frontière: qu’est-ce que cela implique pour l’œuvre? Qu’est-ce que cela implique pour le spectateur?
L’œuvre devient plurielle. Le spectateur s’en empare, opère des choix: que faut-il montrer ou cacher, que faire cohabiter, quelle harmonie choisir… L’artiste n’est donc plus le seul créateur: à partir d’une proposition, le spectateur dispose, et il en résulte une œuvre multiple et constamment modulable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je signe au verso, le recto étant le point de rencontre.
De plus, aujourd’hui, nous vivons dans un monde où la place de l’image croît de manière exponentielle. On peut presque avancer le terme de pollution visuelle: le spectateur, vous et moi, nous n’avons parfois pas d’autre choix que de subir ces images. L’intervariactivité, par contre, propose au spectateur une certaine réflexion avant d’agir lui-même pour amener l’œuvre à un possible point d’équilibre… un point d’équilibre fluctuant, selon le jour, la lumière, l’humeur.
- Le papier est fragile par essence. Expliquez-nous pourquoi, alors que tout un chacun connaît la cherté d’une œuvre d’art, avoir choisi un matériau qui implique de telles difficultés de conservation?
Un objet a la valeur que nous décidons de lui attribuer… les simples rectangles de papier que sont nos billets de banque en sont la vivante démonstration!
La valeur peut d’ailleurs investir d’autres champs: utilitaire, écologique, sentimental, spirituel… Tout le discours de l’art durant le XXe siècle est un constant questionnement à ce sujet. Les ready-made nous ont interrogés sur la valeur de l’objet: sa valeur comparée… mais aussi la manière dont il peut nous envahir.
C’est vrai que dans mes œuvres, il y a des éléments amovibles sur papier. Le risque de perte ou de détérioration existe, ce qui renforce le tabou du «toucher» dans l’œuvre d’art… mais je propose de le dépasser enfin: s’il manque quelque chose, est-ce que l’œuvre d’art en est réellement amoindrie, ou juste différente de par le nombre de variations possibles qu’elle permet? Est-ce que sa valeur marchande en est vraiment péjorée?
Par ailleurs, le papier ne rencontre pas plus de difficultés de conservation que d’autres matériaux, sinon il n’accompagnerait pas l’humanité depuis si longtemps! Il ne faut pas s’arrêter à de telles considérations: aujourd’hui, par exemple, nous ne maîtrisons pas encore tous les défits techniques qu’exigera la conservation des productions virtuelles… Est-ce que pour autant les artistes vont cesser de créer?
- Ce choix du papier reste toutefois étonnant: il y a une telle contradiction entre le temps passé à construire l’œuvre, et la fragilité du matériau élu… entre votre volonté, à savoir la réversibilité de l’œuvre, et ses nécessaires conséquences, à savoir sa destruction programmée puisque un tel matériau risque de se déchirer s’il est manipulé régulièrement.

Cette constatation est récurrente, concernant mon travail; mais pour moi, le temps n’a aucune importance, car je suis dans un continuum, d’une œuvre à l’autre. D’autres se créent dans mon esprit, alors que je réalise une oeuvre… En ce qui me concerne, donc, le temps se découpe plutôt en allers et retours entre les moments de réflexion et ceux de pure réalisation.
Le choix du matériau interpelle, c’est vrai, mais il s’est imposé simplement pour ses caractéristiques techniques, … et pour son histoire aussi, intimement liée à la nôtre. C’est vrai qu’il dénote une certaine fragilité, également présente dans tous les autres rôles que l’Homme lui a confiés… Informations, contrats, traités, récits, souvenirs. Durant les siècles passés, nous n’avons pas été apeurés par cette prétendue fragilité. Pourquoi ne pas aussi accepter le caractère fugace de ce qui nous entoure, et par là même intégrer le risque de la perte? L’homme doit accepter de flirter avec l’éphémère. Après tout, le bois brûle, le métal rouille, le verre se brise…
Au XXIe siècle, le virtuel tend à remplacer le papier, une certaine forme d’abstraction s’installe: qui développe encore ses photos aujourd’hui? Et paradoxalement, les carnets d’écriture se vendent très bien, les livres de coloriage aussi, et l’intérêt va toujours croissant pour la réalisation de carnets de voyage.
- La tendance actuelle va aux happenings, des moments limités dans le temps, que l’artiste offre aux spectateurs présents. Il semblerait qu’avec vos compositions intervariactives, vous entriez dans une nouvelle dimension…
Oui, en effet: le détenteur de l’une de mes œuvres pourra faire lui-même une performance artistique à partir de ce que je lui propose… la faire et la refaire.
A charge pour lui, et à lui seul, de se déterminer: préfère-t-il conserver ma proposition parce qu’elle émane d’une artiste et qu’il va considérer que mon regard aura plus de valeur que le sien? Va-t-il convier une personnalité à interagir avec l’œuvre et à en conserver religieusement la trace… ou va-t-il estimer que le choix de son enfant sera bien plus précieux?
Le happening peut donc être permanent, ou pas… ce n’est plus l’artiste ou une institution muséale qui décide.
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