Lettre ouverte à Monsieur Benjamin Roduit

LES T-SHIRTS DE LA HONTE COUVRENT DE HONTE CEUX QUI LES IMPOSENT, NON CELLES QUI LES SUBISSENT A LEUR CORPS DEFENDANT !

Non, Monsieur Roduit, les jeunes filles ne subissent pas la mode, et non, ce n’est pas pour cela qu’elles se dévêtent. En admettant qu’elles le fassent, ce qui reste encore à démontrer.

Au XXIe siècle, il semblerait que certains hommes se plaisent encore à décérébrer la gent féminine, ce qui me laisse pour le moins pantoise. Ainsi, les jeunes filles d’aujourd’hui, comme jadis leurs aïeules à qui l’on reprochait des nerfs plus irritables ou un cerveau moins organisé que leurs augustes maris, ainsi donc cette nouvelle génération devraient être protégée d’elle-même à coup d’humiliations répétées puisqu’aujourd’hui comme autrefois on dénonce la coquetterie féminine et ses artifices, ô combien dangereuses.

Mais à travers cette dénonciation, ne vous y trompez pas, c’est bien à la féminité qu’on s’attaque, c’est bien l’altérité qu’on fuit.

En effet, entre vous et moi, qu’y a-t-il de mal à vouloir être belle ? pourquoi les jeunes filles ne suivraient-elles pas la mode ? pourquoi ne découvriraient-elles pas un ventre plat au XXIe siècle alors qu’au XIXe les femmes dévoilaient leurs chevilles ? Cette pleine liberté revendiquée par les femmes, cette volonté affichée de disposer de leur corps bouscule la logique sexiste qui régit encore la société rétrograde qui est la nôtre. Gouvernée par les hommes et dont la morale se construit presque exclusivement à travers le regard masculin. Ce regard qui tronque la réalité parce qu’il ne voit dans la femme qu’une Eve éternelle.

Je me souviens de ma fille, de ma douce tempête, qui se cherche encore à l’aube de ses quinze ans. Qui s’en va toute belle et bien vêtue au collège. Qui montre ses jambes, oui, parce qu’elle en a le droit. Qui porte des talons, oui, parce que cela lui va bien et puis que cela claque tout au long du chemin. Qui secoue sa longue chevelure, pour chercher la lumière. En toute innocence. Sans la moindre vulgarité, croyez-moi. Une belle plante, oui, que son titulaire prend à part, à la fin de l’année scolaire, pour lui dire que non, cela ne va pas. Qu’elle doit cesser de se faire remarquer ainsi. Parce que certains profs pourraient la prendre pour une pétasse. Oui, une pétasse. Cet homme ne lui parle pas de ses notes ou de son excellente prestation dans la troupe de théâtre. Non. Ses derniers mots pour elle seront une insulte. Un jugement sans appel. Le déni de ce qu’elle est et une condamnation de ce qu’il croit voir. Il la laissera en pleurs, avec un sentiment de honte qui la suivra pendant des mois. Généré sans raison aucune par un mâle qui ne sait que les clichés et les fausses étiquettes. Un professeur peu avisé, oui, un éducateur réactionnaire. Un homme parmi tant d’autres.

Alors, voyez-vous, Monsieur Roduit, je ne peux que m’indigner contre la phrase que vous prononcez à la radio. Parce qu’elle permet toutes les dérives, vous comprenez. Et que vous avez une triple responsabilité. En tant que professeur, en tant qu’homme, en tant que conseiller national. Or, il est plus que temps de changer de perspective et de modifier l’angle de vue médiéval qui prévaut actuellement. De vous à moi, ce n’est plus aux femmes de brider leurs envies, mais aux hommes d’éduquer leur regard.

Et plutôt que de disserter sur les jeunes filles et les vêtements qu’elles portent, plutôt que de les punir pour protéger les garçons de toute concupiscence intempestive, il est temps maintenant de se poser les vraies questions. Pourquoi, Monsieur Roduit, ne s’interroge-t-on pas sur les jambes qu’exhibent les jeunes qui portent des shorts, pourquoi jamais n’imaginerait-on que les filles pourraient elles aussi s’exalter sur quelque splendide mollet grec ? Pourquoi n’impose-t-on pas  le pantalon de la honte ? Pourquoi protéger les garçons de toute excitation pendant leur jeunesse, sur les bancs de l’école, et puis ensuite ne pas les punir plus tard quand ils harcèlent les femmes ?

La réponse est évidente, vous en conviendrez, nous vivons dans une société à deux vitesses, dans laquelle une partie de la population est niée dans ses droits. Mais les femmes veulent tout aujourd’hui, vous comprenez, elles veulent le contrôle de leur corps comme le respect qui leur est dû, elles veulent en finir avec ce regard d’homme qui est censé les définir mais aussi, mais surtout, en finir avec ce malaise d’homme face à la mode qui leur plaît, avec ces mains d’hommes sur les corps qui leur plaisent

Et il me semble que, plutôt que de parler de fanfreluches, les hommes politiques qui nous gouvernent devraient se saisir de quelques dossiers qui prennent honteusement la poussière.

Aujourd’hui encore, il n’y a pas de norme pénale pour lutter contre le harcèlement.

Aujourd’hui encore, il n’y a pas de loi qui permette d’interdire les pubs sexistes.

Aujourd’hui encore, les femmes buttent contre le fameux plafond de verre qui leur interdit les postes d’influence.

Aujourd’hui encore, les inégalités salariales sont la règle.

Et demain, Monsieur Roduit, il n’y aura pas de femme au gouvernement valaisan.