(Par LE COURRIER)
«J’aimerais dire en préambule qu’il ne faut pas avoir peur de l’intelligence artificielle, commence l’écrivaine Béatrice Riand. Pas besoin de projeter nos craintes humaines sur une machine, elle ne va pas nous voler une partie de notre créativité!» Et d’employer une image éloquente: «Il faut utiliser Genario comme une excellente cuisinière se sert d’un micro-ondes: il rend service».
Après deux romans publiés (J’aurais préféré Baudelaire heureux et Si vite que courent les crocodiles), la Valaisanne terminait son troisième quand elle a découvert Genario l’été dernier. Elle a importé son texte dans le logiciel et l’a achevé en mettant à profit certains de ses outils. «Des fonctionnalités m’ont été très utiles à ce stade de l’écriture, mais d’autres pas du tout, tout comme on ne va pas choisir tous les plats au menu d’un bon restaurant.»
Une des principales forces de Genario, selon elle, est la possibilité d’écrire directement dans le logiciel et d’avoir accès à ses outils à tout moment. Notamment ceux qui ont trait à l’analyse du texte, donnés sous forme de graphiques qui sont autant de radiographies: thèmes du récit, liens entre les personnages, courbe émotionnelle de ces derniers et globale, équilibre entre descriptions, réflexion et dialogues, ou encore niveau de langage. «J’ai un master en littérature et en psychologie, je n’ai pas utilisé les outils liés à la langue, au style. Cela dépend donc des besoins de chacun·e.» Quant au laboratoire d’idées, elle le juge intéressant mais est arrivée avec un projet déjà mûr. «C’est une sorte de brainstorming, on lance une idée de départ et on voit ce que Genario propose, cela peut donner une impulsion, un élan si on est bloqué.»
Intitulé Tous les hommes, le roman de Béatrice Riand raconte une journée dans un village de Catalogne, une semaine avant la guerre civile espagnole; le Boléro de Ravel passe en boucle et les enjeux du conflit sont incarnés par deux amis aux sensibilités et origines sociales différentes. Le tableau «Univers du récit» en liste les thèmes principaux, et a permis à l’autrice de vérifier leur importance respective ainsi que l’équilibre entre eux. «J’ai pu me poser les bonnes questions, conscientiser mes choix.»
La courbe «Trajectoire émotionnelle» montre l’évolution de l’intensité émotionnelle de l’histoire. «C’est comme un électro-encéphalogramme de l’ambiance du récit», commente Béatrice Riand. Là encore l’outil permet de vérifier une dynamique, de rectifier les équilibres si besoin. Quand au «niveau de langage», il se base sur une échelle de 100 – sachant que Proust est à 70 et que 50 désigne déjà un niveau très élevé, poursuit-elle. En écho au style et aux thématiques repérées, Genario propose des lectures de grands textes, de l’élégance d’un Marcel Proust à la simplicité d’un Jack London. Elle n’est en revanche pas convaincue par le tableau «Répartition structurelle» qui, selon elle, mélange forme et fond: «Chez moi, la réflexion est portée par les dialogues, or c’est comme si elle était quasi absente dans ce schéma.»
Genario propose par ailleurs un outil de recherche documentaire et met en lumière les mots souvent employés pour, peut-être, les remplacer par des termes plus précis ou des synonymes. «C’est un lecteur qui éclairerait des points sans jugement, une aide à la réflexion sur ce que je veux de mon texte.»
En août, Béatrice Riand a participé au concours de synopsis avec Tous les hommes et a été sélectionnée. Elle a pu être accompagnée pour en finir l’écriture. En décembre, elle a envoyé son tapuscrit à David Defendi, qui l’a fait suivre à Albin Michel et Gallimard, éditeurs partenaires pour l’instant – un pool de maisons d’édition est en développement, comme il existe déjà pour les sociétés de production. Béatrice Riand rédige à présent une bible littéraire de son texte, pour en donner une meilleure compréhension. Car «les éditeurs n’ont plus le temps de lire».
Est-ce à dire qu’ils vont choisir de le publier ou non sur la base de l’histoire et non du style? «J’en ai fait une nouvelle, car l’écriture compte pour moi.» Reste que des cinq lauréat·es sélectionné·es en août, certain·es n’avaient pas d’expérience de l’écriture, raconte-t-elle. Genario les a dirigé·es vers des ateliers d’écriture.
«Ce qui est crucial est cette opportunité d’avoir accès au monde de l’édition et de la production en France, ce qui est très difficile autrement. On rejoint une communauté, c’est très stimulant.» Elle salue la rapidité de réponse de l’équipe, attentive aux remarques des utilisateurs, la présence de David Defendi qui «donne beaucoup», entre newsletter, blog, conseils, visioconférences… Chaque semaine ont lieu des rencontres en ligne pour les inscrit·es sur Genario, ainsi que pour les nominé·es. «On est une trentaine à échanger et présenter nos projets, hors de la solitude habituelle, dans une atmosphère de critiques constructives.»
Autre atout: David Defendi, qui l’a lue, peut la mettre en lien avec des producteurs. S’ils sont intéressés par son histoire, elle pourrait collaborer au scénario avec un scénariste senior et une formation express. «C’est avant tout une belle aventure, conclut-elle. Une opportunité rare, qui ne va pas détrôner l’humain, au contraire.»